Mercredi 11 Avril 2024
ATELIER TAG ET RAP
ENTRETIEN : Le Hip-Hop comme outil pédagogique. Une entrevue avec 2 rappeurs (Yass Sogo et Gak) et une professeur d’art plastique, Charlotte.
Lors de la première semaine du Printemps des Migrations, un atelier Tag et Rap a été organisé, le mercredi 11 Avril 2024 à la Recyclerie des Moulins.
Lors de cette journée, les enfants comme les adultes, se sont retrouvés pour taguer et laisser leurs créativités parler. Walter, est référant-graffiti au sein de l’association Éveil ton art nous explique que l’objectif principal de l’association est de développer l’art et la culture au sein du quartier des Moulins en donnant la possibilité aux jeunes de s’exprimer.
Tandis que les enfants apprennent les techniques du graff, , Charlotte Tabet, enseignante depuis 9 ans au collège de Jules-Romain, au côté de Walter, nous explique que leur objectif est de faire rayonner la culture Hip-hop au collège comme avec la création d’un club Rap par Yass Sogo et Charlotte : « AttRap’ tes cours » leur permettant de transmettre leurs amours pour le Hip-hop via le graffiti, l’écriture de chanson. L’idée de l’intégrer dans le cadre scolaire, c’est de rendre accessibles toutes les techniques du graffiti et est un outil d’expression pour s’engager, dénoncer. Mais également à l’extérieur, comme à cet événement, organisé par le Printemps des Migrations.
Mathilde, qui anime également cette activité, travaille en tant qu’animatrice à la recyclerie des Moulins. La recyclerie, se situant dans le quartier des moulins, abrite une boutique, mais également un centre de collecte, un pôle d’animation ainsi qu’un jardin partagé ouvert au public. Concernant le pôle d’animation, les activités sont autour du développement durable, du réemploi et sont accessible à tous. Ce pôle organise également des journées de chantier participatif et chaque mercredi, des activités pour les familles.
Lors de la deuxième partie, celle du rap, on retrouve Charlotte Tabet accompagnée de deux rappeurs : Yass Sogo et Gak pour un entretien. Cet entretien prend place dans le cadre du travail d’Emilie Souyri, chercheuse d’Université Côte d’azur. Elle est maître de conférences de littérature américaine et elle s’intéresse au Hip-Hop comme outil pédagogique. Elle étudie les différentes expressions du Hip-Hop : les différents genres, leurs fonctionnements. Elle monte, actuellement, un réseau international d’artistes, chercheurs ainsi que des personnes provenant de divers secteurs, avec l’objectif de valoriser la culture Hip-Hop. Diverses idées sont en discussion : pourquoi pas enseigner le Hip-hop à l’école ? Quels outils du Hip-Hop peuvent être mobilisés pour transmettre et réviser le contenu des leçons plus facilement.
Yass Sogo, un rappeur et professeur de Français rebondit sur cela : “Nous, qui sommes dans le Hip-Hop, on sait que le rap, ça peut être un outil extraordinaire, qui a déjà conquis le cœur des plus jeunes générations. C’est un outil très populaire et très important dans le bon sens du terme”. Quant au rappeur des Moulins, connu sous le nom de Gak, confie : “Je trouve que c’est bien, que ça ouvre plein de portes d’espoir. Cependant, cela soulève de nombreuses questions, notamment celle de la légitimité : qui serait apte à l’enseigner ? Aux yeux de qui ? Quel organisme serait apte à habiliter et reconnaître les qualités de l’enseignant? Qui rebondit également sur un projet de loi qui envisage de mettre des diplômes d’état pour permettre d’enseigner la danse Hip-Hop, l’État s’immisce dans la culture, et, en quelque sorte, dicte. Si cet enseignement public bénéficie de fonds publics, l’aventure paraît séduisante et j’ai envie de dire pourquoi pas.”
Charlotte Tabet, enseignante en art plastique au collège des Moulins, a baigné dans la culture Hip-Hop. Elle essaye au quotidien, avec ses élèves, de les transmettre et de leur montrer les richesses techniques de la peinture par n’importe quel outil.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’apprendre la culture Hip-Hop
et/ou quel élément en particulier (rap/graff) ?
Qu’est-ce que vous avez appris d’important dans cette culture?
Yass Sogo : “Quand j’étais petit, dans les années 90, j’écoutais principalement du rap francais. Je suis d’ailleurs fan de rap français, je n’écoute pas trop de rap américain. J’avais un grand frère DJ et j’ai écouté mes premiers morceaux. Très tôt vers 8, 9 ans, j’ai commencé à écrire mes textes. Ça fait 30 ans que je fais du rap et que j’aime le rap.”
Gak : “Le charisme, le style vestimentaire, la danse, le graffiti : ça m’a donné envie d’être acteur, de participer. Le public à l’époque était acteur, il y avait des jeux entre le public et l’artiste ou entre les danseurs et le public. Il y a toujours eu cette envie du public de porter les artistes, leurs icônes. Je suis tombée dedans comme Obélix. Aujourd’hui, je vois le rôle civilisationnel, le partage. L’année dernière, j’étais en studio avec un adolescent de 15 ans et notre seul point en commun, c’est le rap.”
Charlotte : “Je rejoins les garçons. C’est un environnement familial pour moi. Je suis issue d’une famille d’artistes. C’est un moment de partage et d’échange mutuelle avec les élèves. À l’heure d’aujourd’hui, je veux me battre pour que cette culture rayonne au collège par exemple, parce que je pense que cela donne un repère aux élèves. Cela crée un lien entre les adultes et les enfants.
Et par rapport au quartier, est-ce qu’il y a eu une évolution ?
Gak et Yass Sogo: “La cité n’échappe pas aux règles, la modernisation des outils permet une qualité de la musique beaucoup plus développée. Ces jeunes ont également une parfaite connaissance des outils. Le rap s’est perfectionné et professionnalisé. En ce qui concerne les thèmes, il y a des thèmes récurrents, car ce sont des musiques jeunes, faîtes par des jeunes. Les têtes d’affiches ont en majeure partie moins de 25 ans. Le thème est plutôt insouciant et léger. C’est ce qui fait la richesse du rap, c’est un genre qui aime l’humour et c’est pour cela que ça parle autant aux jeunes. Maintenant, le rap a gagné la guerre. Puisque c’est la première industrie mondiale, c’est celle qui vend le plus en France. Cela montre l’intérêt de la plus jeune génération envers ce genre. La barrière des genres s’est également brisée car les filles écoutent et font du rap. Puisque le rap est libre, il peut dire “merde”. C’est le genre musical le plus poétique qu’il soit. La vulgarité pour la vulgarité, c’est encore une fois normale. Par exemple, en cours de biologie, de 4ème, le professeur qui dit “sexe” en parlant de l’organe reproducteur, et va faire marrer la classe, c’est normal, car il y a tout un contexte. Le rap est devenu la nouvelle pop. C’est un art dont on est amoureux. J’ai l’impression que ça ne nous lâchera jamais. On est toujours intrigué par ce qui peut se faire, c’est la raison pour laquelle je continue d’écrire. C’est une flamme qui est encore entretenue.”
À quel moment vous vous êtes dit qu’il fallait
transmettre cette culture et pourquoi ?
Charlotte : “Ça s’est fait naturellement. Je crois que ça a commencé, quand j’ai commencé à raconter des petites anecdotes. En disant lors d’un cours que j’avais fait du graff, un élève m’a demandé si j’en faisais encore, sauf que non. À ce moment-là, je me suis demandée : pourquoi pas reprendre? Et pourquoi je ne leur transmettrai pas cette passion pour le graff? En cours, c’est à travers l’histoire des arts, j’essaye de leur transmettre une culture artistique. J’essaye d’élargir à d’autres types de cultures. Ça passe par la transmission de gestes techniques comme le lettrage. Cette année on a créé un club rap, un projet qu’on a mis en place autour de l’écriture de chanson à partir des cours. L’idée, c’est d’utiliser le rap comme un outil pour apprendre. Ce sont des chansons sur leurs cours de collégien.
“Att’rap tes cours”, peu importe la matière choisie. Cela peut leur permettre de mémoriser beaucoup plus facilement leurs cours. On peut suivre le déroulé de ce projet sur : AttRAP tes cours.
Yass Sogo : “J’ai toujours trouvé le rap très élitiste. Dans le sens où je suis tombé dans le rap comme dans la littérature. Le rap peut être vu comme quelque chose de vulgaire mais je ne le considère absolument pas comme ça. C’est souvent les personnes qui ne connaissent pas le rap, qui peuvent avoir cet a priori. En toute honnêteté, je considère que c’est l’inverse, il n’y a aucune différence entre les poèmes et le rap. Cet élitisme est porté en soit par le rap car c’est un genre qui repose avant tout sur l’écriture.”
Pourquoi élitiste ?
Yass Sogo : “C’est un genre qui est sérieux. À partir du moment où les gens prennent de haut le rap, ça ne me plait plus. Je suis un rappeur, parce que j’écris. On donne plus de légitimité au slam alors que c’est de la poésie parlé. Le rap est un genre beaucoup plus poétique qu’il n’y paraît au premier abord.”
Percevez-vous une hostilité face à la culture Hip-Hop,
de la part de qui et pourquoi ? Comment surmonter cela ?
Yass Sogo : “Je pense qu’il y a une hostilité de la part du public qui n’écoute pas du rap. Cependant, le rap se retrouve dans notre quotidien sans qu’on s’en rende compte, même dans les publicités, maintenant, elles adoptent les codes rap ou bien même à l’opéra ou bien les théâtres, qui sont considérés comme des lieux formels. Le regard porté sur le rap a changé, il est mieux considéré qu’avant. On venait d’une époque où on ne disait pas qu’on écoutait du rap.
Gak : “Le mouvement Hip-Hop en général, c’est une richesse de détails, des codes, de styles, c’est une identité très très forte. C’est fait pour amener des réactions et provoquer des hostilités mais ceux qui cultivent l’art d’être aigri, laissons les aigriculteurs, être des aigriculteurs. Tant mieux qu’il y ait de l’hostilité, car on sait que cela fait réagir, tant qu’il n’y a pas d’indifférence.”